Tu vois quelque chose? J'entends; je ne sais pas; quelqu'un d'autre que toi? Tu n'y pense pas; tu es là; tu vois quelque chose? Je te vois à peine, juste là; perdue; le même, un autre que toi; les fils tombent, s'accrochent; se veulent; se veulent autour de toi; derrière les portes; tu vois quelque chose? Un soupirail, attendu ? A l'affût du noir; accroche-toi à la rue; regarde, tu ne vois pas? Regarde ce couloir; personne d'autre que toi; tu vois quelque chose? Ses ombres t'appartiennent; il ne voit rien; il sent ton cœur battre; il t'accroche avec lui; il ne te laisse pas; il s'amuse; il s'amuse de peu; il ne pleure pas; qui es-tu? il ne demande rien; il raconte; plaques de souvenirs et de mots; il essaime; il craque; il n'invente plus de rôles; tu vois quelque chose? Quelques lumières d'ici ? je te vois te perdre; je me perds avec lui.
C'est l'heure des morts; du sommeil nécessaire; oublie ces mots; tu n'y crois pas toi-même; c'est l'heure des morts; de tout ce qu'ils répandent; tu vois; c'est chaud, âcre, comme un départ; t'es très beau dans ton cadre; accroche le là, bien au fond ; c'est l'heure des morts; tu comprends pas; même les petites, tu les verras pas; pour ça, il faut tu sais; donner; quelque chose; même rien; c'est l'heure des morts, tu
comprends pas ? ravale tes mots; ils ricocheront peut-être; ta bonne étoile, tu sais; trop d'envie; trop de vide; si seulement t'étais malade; ça ferait un peu d'écho; pour quelqu'un; tu vois, quelque chose; autour de toi; tu ne vois rien? ils sourient; observent; s'épanchent à mesure de calvas; parle-moi encore; parle-moi d'amour ; mon dieu, c'est beau tous ces efforts; que je m'épanche à mon tour; cherche autant que tu pourras; parle-moi encore; fais quelque chose; de moi, une victime? une assassin? trop d'importance, beaucoup trop, beaucoup trop pour toi; tu la vois? c'est l'heure des morts; on appelle ça, comment? la fin, tu comprends pas; tu comprends pas?
C’est juste là.. Juste pour toi. Rodolphe Adèle.
J’ai eu des amis. Je les faisais rire. Malgré moi au début, ma maladresse extrême en était la cause facile, puis de façon plus contrôlée, l’humour est une matière qui s’apprend comme les autres. Quand j’ai décidé un jour de cesser d’être drôle, un à un ils ont disparu. Je voulais être seul, j’avais quelque chose à accomplir. Le temps de la distraction était fini, il avait duré trente ans. Puisque le monde n’était pas décidé à changer, je voulais être l’acteur de ma propre révolution. J’ai commencé par faire le tour de la terre. Pour financer le grand voyage, j’ai fait pendant une année de mon sexe une monnaie d’échange. Des femmes le font bien. Mes clientes étaient riches et plus âgées que moi, l’une d’elle était si contente de mes services qu’elle voulut retarder mon départ, je me souviens avoir été presque tenté par l’offre.
En orient pour commencer, je n’y ai fait que fumer, allongé aux côtés de courtisanes, je me laissai masser, embrasser, partout où il est possible de le faire. Les rares moments d’extase, c’est dans le velours et le brocart de ce grand lointain que je les ai connus. Mes rêveries s’imbriquaient, une réalité encore, où tout sentiment de malaise, de frustration, d’imposture, étaient comme happés par la fumée blanche des pipes, de l’encens, les caresses des femmes aux longs cheveux noirs. Si j’ai bien cru un jour mourir d’amour, ce fut pour l’une d’entre elles, et pourtant je ne parlai pas sa langue, ses yeux et son corps avaient un vocabulaire plus riche et plus subtil que la jungle des mots. Elle m’aimait bien aussi. Fougueux, je voulus l’enlever, mais d’elle seule dépendait sa famille. Son cœur, comme beaucoup d’autres, était voué au sacrifice, il fallut partir. Mon romantisme mourut en claquant la porte du bordel. La colère dès lors entra en moi, et, ainsi qu’une incurable maladie, ne devait plus en sortir. Il faudra bien que je sorte, les seules boîtes de conserve qui me restent, c’est des abricots au sirop, mon ventre en pleure d’avance. Le gérant du magasin fermé maintenant vend de la nourriture, des pâtes, de la viande sous plastique, du papier toilette. Il se tient à l’angle d’une rue, les mains dans les poches. Il faut lui dire ce qu’on veut tout bas, alors il disparaît derrière une porte trouver sa cachette, une cave je pense. C’est tellement cher que je ne peux y aller qu’une fois par semaine. Je mange des morceaux de bœuf si petits que j’en ai même pas le goût. Le chat me regarde avec férocité, je ne lui donne plus que du riz. Si j’en avais eu le courage, j’aurais fait l’acteur, seul sur scène, avec des phrases inventées, des cris et des chants. Et j’aurais été bon. Dans ma tête, 
je répète le spectacle depuis l’enfance. Les mots sont inaptes et je le suis aussi, jamais je n’aurais pu écrire. L’envie un jour m’est montée d’inventer une langue nouvelle pour en faire une histoire. Pas assez fort sans doute. Seulement, de temps en temps, je me la raconte à voix haute, et cela ne ressemble à rien d’autre. Un homme que j’ai croisé autrefois était écrivain. Un de ceux que l’on voit en bonne place derrière les vitrines. Pour le connaître mieux, j’ai lu l’un de ses livres. Ses mots étaient de ceux de tous les jours. Ma déception fut grande, je n’étais pas ému.
mathilde tixier / Extrait de Il fallait bien une victimle, roman en cours d'écriture.

Ce que, nous, êtres-combien de combien de m.d., sommes et avons été n'est rien, quelle est notre volonté, ne rien faire, mais le faire bien, quelle méticulosité, quelle errance?
Qui fait la loi, qui ne la fait pas, qui fout le nez du chat dans sa merde, qui crèe, qui communique, qui parle, qui nique, qui féconde, qui hait, qui, que, quoi qu'est le moteur de cette heure de la soirée où l'angoisse originelle d'être né ne sera jamais, jamais éteinte, l'angoisse est une lumière ? L'angoisse est un phare, mais il n'y a pas d'eau, du sel, ah ça, of course, du sel, et on flotte comme on claque, à longueur de mers comme des bassins olympiques de plein-air, quel grand-père ou quel parent patinait sur quel étang gelé de quelle pologne, quelle allemagne, quel merdier, quel passé, quelle histoire, quel vomi l'histoire, qui vomit l'histoire, quels perdants, quelles vagues, quel sang
de quelle rougeur de quel pigment de quelle ferraille, quelle écriture, quelle prétention, quelle colline aberrante au bas de cette ligne de chemin de fer, quelle direction, quelle ligne, ouais quel chemin à montrer, et puis quoi encore, quel quoi, quel où, quel que dalle pour quel cimetière au bas de quelle salle de quel travail, quelle fatigue, quel souvenir, quelles cinq années, quelles dettes, quelle société, quelles descentes et surtout, surtout, quelle montée, quels mots, quel homme, qui a vu l’homme qui ne sera pas mort, quelle foutaise, quel sentiment...
Qui sent, qui renifle, qui morve quelle couleur de quel avenir, quel père-mère-frère, quelle engeance, quel amour sous quel chapeau sur quels verres de quelle correction, quelle correction, quels emmerdements, quel printemps pour qui qui veut du soleil, quelle lumière, quelle agonie, l’hiver des autres, quelle connerie ou quelle idole, quels croyants, quelle parole si qui parle de rien à foutre se mouche, oh quelle chatte, quel abandon à quels matins, mais quelles bulles, bordel, quelles bulles de quelle respiration de qui a soif et faim et haine de quelle question, quelle question, ouais quelle est la question et quelle est la brume ?
mathieu diebler
textes lus parmi d’autres lors de Pan! Dimanche 01