DECLIN D'OEIL Quand on veut, on peut !
L’année au Pays avait commencé par une histoire d’attaque de train, une histoire à l’ancienne.
C’était un premier jour, un vrai, un recommencement que plusieurs centaines de badauds venaient de fêter, en goguette de bord de mer et d’air douceâtre, profitant d’une belle ristourne que leur avait faite la Compagnie des Chemins de Fer pour s’échapper pas cher et revenir en express dormir l’ivresse qu’accompagne ce genre de célébration. Ils étaient donc en train, c’était des hommes et femmes modernes, travailleurs, pas fainéants, cadres de famille, résignés à entamer le lendemain matin douze nouveaux mois d’entreprise, de délices de bureau, de crédits au long cours, de distraction télévisée, voire de libre-expression sur la web-planète, bref, un an après l’ouragan d’Asie, ces courts vacanciers-là étaient des modestes à qui l’on avait fait un cadeau. La ségrégation n’étant pas encore autorisée au pays, on avait été obligé, pour le même prix, d’offrir à voyager à tous. Malgré de nombreux et opportuns contrôles de police, de jeunes pauvres qui s’étaient saisis de l’aubaine et avaient décidé, eux-aussi, qu’ils fêteraient le recommencement de leurs emmerdements, s’étaient trouvé en mêmes lieux et places et avaient décidé, pour rigoler, d’attaquer les premiers à coups de mots et de mains. Il y avait eu des larcins, des insultes, des menaces, du bruit et des atteintes à la tranquillité, il y avait eu des fuites, des cavalcades, des sanglots d’angoisse, de la satisafaction d’avoir hérité d’une bonne place à l’abri des chiens et, au fond, s’il n’y avait eu que peu de choses, il y avait bien eu de la peur, de la lâcheté de tous côtés, un crime touche-femme dégueulasse et des revendications.
Ah on leur avait tant et tant dit, aux habitants citoyens du pays, qu’aux abords de la Cité des hommes invisibles étaient prêts à tout, que là, quand ces mecs s’étaient fait voir, eux et le risque qu’ils portent comme un vêtement, les badauds en avaient eu une trouille d’enfant faisant sous lui à voir un loup en ombre sur un mur de salle d’eau. Ainsi, quand ces mecs, au lieu de tuer et violer comme il était bien prévisible, s’agglutinèrent à quelques boutonneux pour poser des mains envieuses sur les chairs d’une femme jeune que les citoyens avaient abandonnée, il ne s’en était pas trouvé un pour aller défier les barbares au couteau entre les dents : on avait fui, bien sûr, on s’était assuré de la présence de sa famille, on avait émis des appels de danger, on avait cherché en vain la force publique, on savait que, on savait qui, des basanés, sans aucun doute, des jeunes, ni plus ni moins, des pauvres, c’est probable, on avait dénoncé, c’est certain mais, à aucune espèce d’instant on avait posé sur le sol du Débat national la question de l’incroyable lâcheté de plusieurs centaines d’hommes tremblant devant l’enfance mal-élevée, pourrie d’Ennui, jouant de l’image malsaine, assurés qu’une menace de mort valait condamnation, assurés que, lorsque l’invisible se montre, ce n’est point pour sortir, c’est pour tuer.
Alors les hommes du Pays pleins de courage avaient voulu des armes, des groupements, un entraînement, de la force, une Education, des billets de train à prix prohibitif là où ce n’était pas encore tout-à-fait le cas, un uniforme partout où un oeil peut voir, des cache-misère, des caméras, des interdictions de circuler et des obligations de résultat, un couvre-feu qui couvrirait le couvre-feu, des préfets plénipotentiaires, des immigrés de Qualité, un pouvoir fort, des citoyens responsables, des non-citoyens qui la ferment, le respect des institutions, le respect de l’état, le respect de la nation, le respect de la langue, le respect martial en toutes choses comme il existait il y a quarante années avant qu’une période de joie estudiantine et ouvrière ne le chahute et expérimente des libertés qu’il convenait à tout le moins de restreindre à la demande générale, tel était le souhait d’une population bleue.
La vie étant bien faite, il était temps aux hommes de bonne volonté de présenter à leurs concitoyens desvoeux pour eux-même et pour le Pays et, fait extraordinaire, l’aspirant à devenir le premier d’entre eux se trouvait en étrange symbiose : il leur proposait un état régalien fort dont il serait le roi, des phalanges de citoyens solidaires prêts à en découdre avec les très nombreux ennemis que ce programme créerait à la définition de sa zone et donc, de ses marges, de l’argent pour les courageux, la mort pour les profiteurs, des divertissements pour tous, un Dieu pas regardant, le succès pour les hommes petits et laids aux yeux noirs de haine pour peu qu’ils fassent preuve, comme leur chef, d’opiniâtreté, Quand on veut, on peut ! finit-il par dire.
Et le dessinateur attitré du journal de l’Union de la Majorité Peureuse de rire gras une dernière fois au triomphe à venir de l’ordre des belles années passées.
Et l’Oeil de pleurer sans rien dire.
mathieu diebler