Il fallait donc combattre, faire des écarts, pousser, appeler le jeu aux ailes, je happai les fillettes de douce voix stratège, elles préféraient la foule à mon désarroi, la foule avait raison, c’était de petites salopes. Tant pis je me disais, et la foule et les fillettes le disaient aussi, elles disaient Tant pis ! Tant pis ! Tant pis !, elles le disaient slogans, ritournelles et crépuscules, appuyant, ouais chacun à sa manière, les amis seuls s’abstenant seuls, les petites et le chien perturbé par l’organe du maître-speaker faisant tourner la cible, la foule dubitative, perplexe du doigt tendu, même un rien coupable, la foule allait attendre, savait, venait de la comprendre, le speaker était chef, ou tout du moins sa voix, et la foule était pat, ouais dans l’instant le match devenait nul pour un moment, chacun disait TantPis! et c’était bien comique, cette unanimité qui me tenait les basques ; enfin nous avions à nous tous, foule, amis, fillettes, chien, chef de gare et moi, un projet, celui d’attendre.
Et l’heure passerait sans joie certes, mais sans excès de nerf. Le début serait difficile, difficile et heurté parce que, après y être allé de ses Tant pis, la foule s’emmerderait lourd, d’autant plus lourd qu’elle avait jeté une grande partie de ses objets de loisirs : ouais, les almanachs de jeux où l’on trace les mots à la lettre, les magazines pour femme et ceux pour les hommes, les journaux sans corps où on cause pêche, bicyclette, psychologie ou livres, et puis choses de la cité, tout avait volé, la foule serait entre soi et la différence qui avait creusé entre elle et nous ne s’amenuiserait pas, ou bien elle s’amenuiserait, ainsi va le suspens. A l’évidence, à quelque niveau que ce soit du fatras social de notre petite guerre, il faudrait trouver des affinités, discuter, peut-être se conquérir, enfin séduire un peu, il faudrait s’occuper, et ce ne serait pas facile. Ca continuerait de gronder, le soleil claquerait, mes vêtements seraient plus clairs, les verrières en seraient, de ce festival de beau temps, et moi je ne serais pas assez pour donner matière à débat pendant si longtemps – ce n’est pas tant la durée d’une heure qui pèserait à la foule mais le fait de connaître le terme, qu’il y ait une échéance, et aussi un décompte qui semblerait donc bien lent à cause de la passivité de celui qui voyage et ne peut se résoudre à l'immobilité que peut constituer un voyage dans un wagon filant le rail. Celui qui voyage ainsi voyage, et c’est pour lui faire quelque chose que voyager, quitte à ce que ses pensées vagabondent. Devant l’ampleur de la tâche qu’était l’organisation d’activités pour une foule furibarde contre soi, je décidais de ne rien faire à cette échelle et de me contenter de soulager ce qui se trouvait à portée de souffle, ainsi je serais de ceux qui, en horreur, sont de bonne volonté : j’accompagnerais donc l’ensemble des clameurs comme je pourrais, au sifflet pour être exact, et déroulerais – en l’accélérant de manière à ce qu’il puisse être joué dans le temps qui nous était octroyé – le requiem de wolfgang de mon youyou de serin. Ca agacerait la plupart, bien sûr, mais il est possible que quelques mélomanes, bien que pas convaincus par l’interprétation, y reconnaissent de la bravoure à la longue comme on salue un exploit imbécile qui n’en n’est pas moins un exploit. L’opinion, en partie, pourrait être touchée, et du coup m’être plus favorable, je gagnerais quelques dominos, il se dit que la foule, parfois, peut être versatile. Ah j’avais bien en tête que je devrais composer avec les coups de grondement ; j’avais choisi wolfgang et sa messe pour les morts en connaissance de cause, j’y foutrais les contextes comme s’ils étaient tambours. Non Wolfgang, ce n’était pas un copain, mais j’aimais bien ses regrets, cette manière de parler fort aux trépassés, alors, alors je sifflerais à cette façon, et ce serait sacré, sacré et solennel, ça allait de soi, on aime ou on aime pas.