Volupté
C'est un temps incertain, où rien ne se dit encore, où tout est en suspend, se fige dans une posture de glace, de mystère et d'orgueil.
C'est un temps impartial où l'avenir se joue à coups de stratégie de bazar.
C'est un temps d'odeur mauvaise, où se bouchent les nez, les yeux, les oreilles.
C'est un temps de troubles au maquillage fatigué, une nuit trop longue à finir.
C'est un temps déraisonnable où les morts à table se rient de leurs bouches bées du sort jeté.
C'est un temps de précipices internes, d'hémorragies externes et verbales, de conscience en cavale.
C'est une volupté qui se fout du temps, lovée dans la soie noire de la couche d'un jour, elle toise, et exulte.
Mathilde Tixier
Badaboum (extrait).
(...) Les blouses blanches conspirent autour de mon brancard, box numéro 13.
Mon voisin est AVIATEUR. Il pilote de grands oiseaux noirs. Il m'en parle, entre deux évanouissements.
L'infirmière bariolée change mes poches de perfusion.
Ses yeux sont d'un bleu irréel, comme si la vie s'enfuyait déjà.
Elle ferait BANDER un mort.
La fièvre me plonge dans un délire de persécution. J'ai des hallucinations.
Un malade se redresse sur son lit, au milieu d'un bad trip. Il arrache brutalement la sonde d'intubation coincée au fond de sa gorge.
- NE FAITES PAS ça, Monsieur !
Elle est déjà près du patient, suivi d'un interne et d'une anesthésiste.
Le malade se calme, enfin.
L'infirmière bariolée de nouveau contre moi.
Tout contre.
L'odeur de sa sueur.
L'odeur de ma peur.
J'appuie sur ma pompe (à morphine).
Elle glisse sa main sur mon front. (...)
Stéphane Vallet
le fluide (extrait)
(...) Et tout ça pour rien au fond du monde, d’où ça part et où ça te revient dans la gueule comme le fluide oppresse, compresse, la farce du fluide, c’est sa circularité, et c’est une blague, je crie, il faut oublier, je crie, je somme la fumée du désordre et les ordres adressés à ceux qui n’en ont que foutre, pour oublier quoi ? Pourquoi ? Je crie, à l’aveugle je crie, frappe, cherche un centre, ah je touche, et oublie au fur et à mesure le temps qui passe et balance, c’est une corde.
Et le fluide repasse quand ça part où je me casse la gueule et vois le carreau comme un plafond aspiré dans la bande étroite où il y a l’hiver à sentir… Le vent, un don du fluide, la fraîcheur et le score comme l’horloge tournent, un cri, les miettes amères polluent le neutre, la frénésie pousse l’introspection, plus loin, plus loin on ne voit rien et on cherche, on doit être dans le cul du monde, je crie d’où ça part… Du besoin comme l’envie, donne ! Accapare la caricature, le fluide, dans l’excès inversé, sense les idées, l’organisation, la félicité.
Et sans casser la glace je regarde et crie surtout, je relate le fluide qui passe et tourne à la première à droite, la tête suit, deux temps, trois mouvements de passe vers l’avant et je défends. QUICONQUE, quiconque doit montrer patte blanche, s’amener sans rien amenuiser, physique, fluide, boucle ourlée et la perle aussi, ouais, la perle.
Oh le fluide est là, vibre en rond, le fluide est volatile, la fumée donne un signal, c’est l’envol, les ailes s’agitent, l’estomac brûle, a brûlé, va brûler, la razzia, la fureur, la fureur de vivre ou quoi ?… (...)
mathieu diebler
Corpus (extrait)
(...) Alors peut-être, peut-être aurons-nous quelque chose à dire ; comme si parler était suffisant, nécessaire, suffisant à rendre au silence ce corps qui se refuse, suffisant à balayer ces mots qui n’entrave que la nécessité d’entendre, de ne pas voir venir, de laisser la peau prendre forme, la forme d’une présence réfutée, sauvage, insatiable, absente; absence viscérale, inattendue, irradiée d’un espace à lui seul dévoré du mirage d’un corps qui s’exprime totalement, qui n’a rien à dire, qui est là, qui brûle tout sur son passage, au bout de ce qu’il entraîne, et avec lui, et avec elle, cette énergie insurmontable à la représentation qu’elle entame, qu’elle caresse, qu’elle incendie pour ne balayer que l’évidence; quel corps, quel mirage, quelle évidence? ce qui ne brûle pas de soi-même ; envisager qu’elle ne puisse être ; rendre intelligible ce sourire, ce besoin qui ne baise pas, mais qui vacille, qui tremble ; entamé de ce qu’il efface, de ce qu’il s’annule parce que son regard n’est plus qu’une réfutation ; visible ou invisible, de ce qu’il fût, de ce qu’il est; une imbécillité, un refus, une impossibilité ? De quoi s’agit-il ici, de co-incidences ? certainement ; de coïncidences, encore.
Peut-être alors aurons-nous quelque chose à voir, à toucher ? des visages, des visages croisés ; un souvenir, un souvenir de l’autre fois ; des vies, des vies qui s’étendent ; ne sont plus à toucher, mais à construire; à détruire ; déjà ; une ligne, une main, une histoire, aussi familière que la difficulté de dire, de dire à quoi bon, de dire pourquoi pas, de dire pourquoi sur cette table, tout à coup, est déposé un livre ouvert ; ouvert à son incohérence, à son trouble, à sa distance ... à sa force, à son matin. (...)
Rodolphe Adèle
Extraits de textes lus lors de PAN! DIMANCHE 03 par les auteurs et Caroline Senné et accompagnés par le violoncelle et même parfois la voix de Automne Lajeat.
Photographies volées sauf collages de Bob L'Inquiet.