J’étais assis sur la marche haute en ciment peint qui suivait le corridor, et je regardais mes pieds délavés, j’évitai les yeux de Nadine qui fouillaient un des coffres creusés dans cette marche. Elle en sortit des draps de bain, des serviettes rectangulaires, un plateau laqué de bleu. D’un autre coffre aménagé en bar, elle tira une bouteille de gin-fizz de grande qualité, deux verres à cocktail, de la glace, un cendrier, un briquet tempête, un court paquet de cigarettes. Et puis elle agença le tout sur le plateau. Elle dit Lève-toi en douceur, et elle fit tomber mon vêtement et noua un des draps autour de ma taille puis elle se retourna et me demanda de dégrafer la boutonnière de sa robe. Comme je ne faisais que regarder, elle dit Allez !... Allez !, en douceur toujours.
Je posai mes mains sales sur les épaules, j’étirais le tissu, et voyais à mesure ses épaules étroites, sous la nuque le dos blanc constellé de grains de beauté de toutes tailles et ses ossements sous la graisse fine, confortable. J’étirais encore, elle dit Arrête ! Défais les boutons, Daniel, tu vas la déchirer ! mais je poursuivais sur ses hanches et le coton craquait… Elle dit Oh non ! Oh !… Oh et puis, fais ce que tu veux, hein, fais ce que tu veux de moi, Daniel, vas-y ! Ouais vas-y, fais ce que tu veux ! Je reculai, me poussai, je forçai, déchirai la robe d’un coup sec et découvris ses deux fesses rondes et blanches, lâches, la forme pas affaissée mais la peau distendue, c’est vrai, c’est vrai distendue mais fine, de belles fesses quand même – j’avais l’envie pressante –, et une vallée rose entre elles où je plaquai la tranche entière d’une main, où j’appuyai, d’où j’empoignai aussi la chair, je malaxai, je me contenais la brutalité, mais je pressai, du bout de l’index, le bord de la petite chatte, je pressai l’articulation, je poussai l’anus, je l’écartai, je pressais, je bandais fort, Nadine palpait à l’aveuglette, elle disait Ah ouais, ah ouais, ah ouais ! en soupirant les intonations et, à se pencher en avant sous le poids de ma pogne, elle achèverait de s’installer sur ses genoux, le cul tendu cherchant les coups, les coups de doigts, de queue, de langue.
Voilà ce que c’est que de brusquer les choses, je me disais, moi qui ne savais plus quoi faire ; elle avait oublié ses projets, et réclamait que je donne un assaut, à cet endroit à ce moment, un assaut, un premier, elle le voulait, et disait Viens ! N’attends pas, Daniel, allez, allez viens !, elle traînait les mots comme des baisers, de longs baisers de soupirs, toujours, mais elle martelait, c’était des invectives, c’est vrai, des invectives de voix brisée, ouais Nadine s’étranglait à force, à se répéter simple son envie. Alors j’y allai, je me levai, je tirai sur le pagne d’éponge, elle me regardait faire, elle dit Ah ouais, viens, c’est ça que je veux, je veux qu’tu m’la mettes ! Mets-là ! Et je stoppai.
***
C’était un jadis de maladie, ces jours-là d’alors. Des campagnes de prophylaxie décoraient les murs de ma ville depuis deux dizaines d’années et, sur ceux de l’hôpital, partout, alors même qu’on n’avait pas le droit de baiser, on avait affiché qu’il fallait se couvrir la pine de capotes quand on montait au front sous peine de crever, on prévenait, c’est ainsi qu’avant tout on parlait de baise sur le continent. Nous, à Pescalune, on n’y avait pas droit, à la baise, mais on nous prévenait quand même, au cas où. Certains subversifs du corps soignant nous filaient même en douce des caoutchoucs piège-microbes pour aller plus loin dans le débat d’idée – il faut dire que là-bas, à l’hôpital, ceux qui bandaient encore manquaient pas d’attraper celles qui avaient l’envie, ça faisait peu de monde, mais on en trouvait. Il y avait aussi ceux qui avaient de la visite, et profitaient de voluptés bien planqués à l’abri des portes verrouillées des gogues pour handicapés, des grands box. C’était le jadis d’une maladie qu’on ne soignait pas, ce jadis, on crevait, on prévenait qu’on allait crever, partout on affichait, on parlait de culbute, de valseur à risque, on donnait des détails, de toutes les manières on prévenait, on militait pour la vie, des sodomites compris et déviants de tout poil, on n’avait pas le droit à l’erreur. Moi je m’en étais bien foutu de ces idées morbides, pendant des années, et je n’étais pas seul, pas mal de gens s’en étaient bien foutus, à force d’être prévenus et qu’il ne leur arrive rien. Ce qu’il y a, c’est qu’on avait vu des morts, dans un premier temps, on en avait connu, c’est vrai, des mecs qui étaient morts vite et bête et moche, maigre, d’une maladie inconnue. Plus tard, on savait mais les gens continuaient à crever parce que, on savait l’ennemi, mais on n’avait pas d’arme. Plus tard encore, on avait pas trouvé de fusil mais on maintenait en vie les moribonds pendant longtemps, assez longtemps pour que cet horizon-là dépasse de loin celui de mecs qui n’avaient pas cette maladie mais qui ne voyaient pas aussi loin. Alors on avait cessé d’avoir peur et on s’était mis à s’en foutre, de toutes ces conneries : c’est qu’on avait assez d’entendre causer de mort au moment de se frotter sa vie contre la vie, c’est que c’est quelque chose, de se choisir une fin. Et on s’était habitué, il n’y avait plus de défi, on y allait plus vite par nos propres moyens, des moyens légitimes tout de même.
***
Mais voilà, je ne sais pas pourquoi, ce soir-là, j’avais le sexe nu, devant moi les dilatations de Nadine, et ses invitations, je regardai tout, quelques secondes, tous ces sangs qui s’attendaient, qui s’attiraient fort, je prenais un temps que Nadine trouvait long, elle poussait sur son cul par à-coups comme si j’étais déjà dans le ventre, je faisais languir, elle dit Mais qu’est ce que t’attends, Danny, qu’est-ce que t’attends, merde ! Allez ! Allez mets-la ! Mets-la ! Elle insistait, elle voulait, et moi j’avais ces histoires de maladies en tête, ces histoires revenues. Mais j’y allai, d’un coup. Je lâchai tout. C’était fini.
md, Les histoires revenues, extrait.