Vous croyez que je me fais chier ici? Vous vous mettez le doigt dans l’oeil, et profond, parce que là, avec mes potes cannés, on se marre vous avez pas idée. Autant avant, je me faisais un peu chier, à longueur de livres, je l’ai raconté, ça la chienlit. Bien sûr les femmes et la picole m’ont aidé à passer le temps qui passe, fondu en elles, il a pu m’arriver de faire de beaux voyages, mais c’est rien à côté de ce que je connais ici, vous avez pas idée. Y’a qu’un truc qui m’a emmerdé au début c’est que je pensais arriver incognito, hein, les morts ont tous la même peau, et bien figurez vous qu’à peine débarqué, ils m’ont accueilli comme une idole, ces cons… il a fallu mettre les choses au clair une bonne fois pour toutes, et pour l’éternité : la gloire ne m’intéresse pas, et puis, faut pas charrier, qu’est ce qu’on a en branler de la gloriole quand on est mort, hein je vous le demande.
Après ils m’ont laissé tranquille, un peu trop, on n’est jamais content. Et j’ai pu avoir tout le loisir de regarder leurs femmes, qui allaient devenir les miennes aussi, par la force des choses. Ici, c’est pas comme dans la vie, on partage tout. Ce putain d’instinct de propriété qui vous colle encore à vos culs à tous disparaît aussitôt la grande porte poussée, croyez-moi, on n’en a vraiment plus rien à foutre, de qui, de quoi est à qui. Ici il n’y a pas de dollar qui vaille. Tout à la gueule. Si la vôtre revient pas au barman, et bien il vous sert pas, c’est tout simple, et vous allez voir ailleurs. C’est pas ça qui manque, les rades. On s’en met ras la gueule pour pas un rond, et on n’en a plus rien à foutre, je vous assure, des cirrhoses, si vertes, si bleues, et de toutes ces conneries, puisqu’on a signé pour l’éternité. Assez flippant, à bien y penser, je vous l’accorde. Mais nous les vivants morts on a encore plein de choses à se raconter, l’imagination déborde, les masques sont tombés, on se comprend vraiment.
Vous pouvez pas savoir comme c’est agréable, de pas se la jouer, de toute façon la partie a bien été perdue, hein, alors autant se marrer! On se regarde avec nos gueules de morts, y’en a certains, c’est à se pisser dessus son froc, qu’on a pas, puisqu’on est à poil, comme on est nés, à poil, faut se voir! C’est parce qu’il fait toujours chaud, alors on va pas s’emmerder avec des frusques! Et puis quand on en a marre de se marrer, et bien on contemple, on prend le temps puisqu’on l’a.
Les paysages n’ont rien à envier à ceux d’en bas, y’a des coins, c’est à en pleurer. Dans le noir. Ici il fait toujours nuit, mais à ça aussi on s’habitue, comme à la peau un peu trop blanche des femmes. Vous avez déjà essayé de baiser une morte pour de vrai, vous? Je voudrais bien vous y voir!. Ben je vous assure au début, c’est bizarre, parce qu’elle est tout comme une vivante, hein, elle vous sourit, elle gémit et gesticule pareil, mais la fixité dans le regard à ce moment-là, et la peau, si blanche, faut s’habituer … Moi, c’est fait, et vous me croirez si vous voulez, mais les femmes sont beaucoup, beaucoup plus CHAUDES. A l’intérieur. C’est à en brûler. Alors si elles sont un peu trop maigres et pâlichonnes, tant pis. Le jeu en vaut bien la chandelle, et, maman, quelle chandelle!
Et puis moi aussi, je dois en avoir, une de ces allures, déjà que vivant, faut pas trop y penser, ni se regarder… D’ailleurs ici, ça doit être fait exprès, y’a pas de miroir. Pas de restaurant non plus, et pour cause on ne mange pas quand on est mort. Mais des bars, ça oui, parce qu’on boit, eh, ici aussi, même mort, il faut bien que le temps passe !
J’vous raconte ça, c’est pas pour vous faire envie, hein, profitez d’être vivants, c’est pas si mal je vous assure, les femmes ont quand même meilleur goût. Et, baisez bien la vôtre à ma santé ! Il va m’en falloir quand même avec toutes celles qu’il me reste à me taper! A la revoyure, hein ?...
texte et dessins, Mathilde Tixier, pour En Immersion Bukowski / Pan! Dimanche 013