J'attends des bruits.
Je sèche.
Le vent n’existe pas.
Je sèche où le vent patiente, le tissu déteint, je ferme des yeux la porte du jardin : les oiseaux, les bancs de bois blanc, les rampants, les lombrics, les épines, les arbres et les mouches, tout arrive, tout, tout fait son entrée et défile.
Je pousse l’assiette, observe : ce n’est pas une assiette, c’est un jeu d’enfant. J’observe le crissement d’une soie et celui que font les yeux d’une fenêtre, pas si loin, j’observe le vide posé sur les cinq chaises tenues en arc de cercle par le chef d’un orchestre de chambre partis tous à la clôture de la séance, on a fermé le jardin, je l’ai ouvert à moins que je n’y sois entré d’autre manière d’enjambement… Il a fallu des notes, des notes rondes, j’y suis arrivé, je suis entré, on voulait tout cacher, on a échoué, on ne peut tout cacher.
Il ne restera que des restes, des restes de nature. Et il pleuvra une colère et la nostalgie d’un monde à oublier vite sous peine de… Merde : le vent se tient en embuscade au contrebas du bas du square et travaille au métier un pull-over et une armoire qu’il rangera l’un dans l’autre après s’y être glissé, j’attends autre chose, je sèche.
J’attends une foutaise, l’abattement, le coucher d’un champignon d’outre-Atlantique, un corps en ordre ou un Tais-toi, j’attends de sécher, je sèche. Mais j’ai moins séché que je ne le pensais. Je sèche tandis qu’on ouvre le parc après l’avoir fermé.
On ouvre les parcs, on ferme les parcs, on ne fait que ça, il faut penser au fer qui grince et dont l’avis importe peu, je grimace à l’arrière-joie, moque les clôtures, le maquillage verdâtre. Je grimace - les clôtures : voilà ce au-dessus de quoi la pensée passe ce matin à l’expectative d’une fin de rêve éveillé et plein de mémoire.
Le vent ne tient plus. Le vent voudrait bien, le vent voudrait emmener la nuit dans laquelle j’ai tout senti ; vu dans l’entrée de l’appartement de Barthélemy la silhouette d’une nourrice d’un passé quand déjeuner en commun m’incommodait fort, quand déjeuner m’incommodait ; entendu dans la chambre rugir un océan dans les pales d’un ventilateur ; senti pleins naseaux le bœuf et le bacon et les œufs frire, et des mimosas. Il n’était rien de tout cela. La nuit ne devait être qu’habitude – Barthélemy dormait – mais la barrière entre ce qui est et ce qui paraît s’estompait, je flottais. Dans une mer close de souvenirs, je mouillais, où des oiseaux sont des sujets de soleil, il y avait des rires, des corps longs, des sursauts, il y avait des murs de mousse blanche et dense, des bris de verre, il y avait des rires et tant de rires et des larmes à force, il y avait de la sueur.
Je sèche. Le vent parle seul, c’est bruyant. Le vent interroge les opportunités et les gardiens, qu’est-ce que c’est qu’être velléitaire ? C’est suivre un chemin comme un autre.
Les voyages, les roses rouges à qui souffler, les cerises, les ailes, les cultures, les orthographes, les pantalons et vestes de flanelle, les cartables, les robes et jupes et jambes et caraco, les ouvertures ajourées de hauteur, les inquisitions, les étangs de bitume, les frusques des errants, les vieilles femmes et les regards fumés, les Ne bouge plus, plus un geste, hein !, les morceaux de pain, les pigeons, les hommes et les tapes derrière la tête, les gardes camouflés, les catastrophes, les distractions, les envols, les scandales, les cigarettes et les livres, les mutismes, les cris, les chats, les balles perdues de raquettes anciennes, les ruts, les immobilités, les pièges et grands boulevards, les chutes à pic, les mirages, les corps et les ambiances de déjà-vu, les triques, les êtres vivants, les drôles d’allures et les forçats, les myxomatoses, les eaux minérales, les bienveillances et les humidités disparaîtront après la sieste éreintée d’intoxication alimentaire…
Il ne restera que des restes.
Les humidités, Mathieu Diebler, texte et photos, 2005-2009.