Le lundi 10 mai 2010 à 20h, Mathieu Diebler lira une adaptation de La vive allure, son premier roman, prix Technikart 2010 ; tout autour de ses pas, on entendra les empreintes sonores, musicales et autres, étrangetés, d'Andreas Carrere (The Boohoos, BlackSun) et de Michel Thiboult (Muzik Magik, Shining, The Bluets). En ouverture, Mathilde Tixier déclamera quelques poèmes. Le spectacle durera une heure trente minutes environ et aura lieu dans un très joli nouveau lieu du Paris artistique autonome, libre d'une certaine manière, L'Héritage, au 6 rue Charles Friedel, Paris 20 (métro Télégraphe ou Jourdain). L'entrée sera libre mais une taxe sera prélevée sur la première consommation et le chapeau en sus paieront les artistes. Voici un extrait de La vive allure, les premiers mots du roman :
J’avais l’air d’un égaré, c’est probable, mais d’un égaré qui poursuit son erreur à vive allure pour ne pas la perdre et s’en prémunit en se rendant à sa rencontre ; je marchais l’estomac derrière les lèvres, gueule close, et haut le cœur, haut, habité de cette erreur et de la certitude qu’elle vaut plus que tout malgré les étoiles, la foule d’oiseaux de fatigue qui se jette sous les yeux comme du gibier sous les roues d’une auto ; de mémoire d’homme d’avance, je n’avais pas eu de tel enthousiasme depuis la perte de mes idéaux d’enfants, quand j’avais vu le nombre et la loi et ce qui doit être et ce que l’homme doit être et ce que j’étais, moi, mec marchant retiré des échanges et aiguillages, des crises de cette rage curieuse qui m’avait fait balancer les grandes bouteilles de bière pleines de pisse au travers de ces nuits et ces nuits par la fenêtre du rez-de-chaussée de mon appartement de la rue de la Cuillère. Depuis, il avait dû couler quinze années dont il ne restait que mon gros cartable et ma bouche bée et maintenant le vieil enthousiasme d’avant me revenait planqué dans ce cartable ou cranté dans la roue d’engrenage inattendu qu’avait enrôlé mes jambes, le torse vidé enfin, l’esprit grand’clair, les horizons ouverts, l’absence de bêtes, le corps à température, la fumée frénétique de mes cigarettes… C’était de la joie, je le savais, c’était de la belle joie rare et lointaine, intouchable qui me pleuvait dessus - pas ce crachin qui donne le sourire incassable de satisfaction devant la matière, l’amas de jouets, le tas de drogue, pas le crachin, la pluie à verse qui n’emplit rien, vide et pousse. La joie poussait mais ses nuages s’amoncelaient et pesaient en poussant en alourdissant le bas des jambes et la peau douce qui s’abrite derrière les genoux, la joie grosse, la joie grasse, plissant mes habits comme les nippes qu’ils avaient dû devenir. Puis la pression prenait plus haut la masse et me soulevait par le creux des reins et donnait quelques mètres que je n’avais qu’à pédaler : quand je me récupérais sur mes pieds, c’était bien la joie fidèle qui me tombait sur les épaules et faisait plier à la longue mon squelette contre une résistance de chimère comme le vent fait à l’arbre. J’avais un sourire pour tous et mes larmes étaient si lourdes qu’elles tiraient mon visage vers la terre, mon corps ployait tant et tant que, à ras de terre j’entendais des bruits, de fins bruits de bonne mémoire, il me semblait même que Vanille parlait et je lui disais de ne rien dire et de regarder la nuit, et elle, c’était après ma nuit qu’elle en avait mais je la lui refusais et elle insistait d’une manière si gentille, elle me tirait encore des larmes, qu’on me prie comme ça, des larmes ; ces larmes étaient un métal chaud qui allait se ficher dans le sol meuble filant de sa liquidité un lien dont je ne pouvais me débarrasser, j’étais une marionnette dont personne ne tirait les fils, je tomberais. Me relèverais, marcherais encore comme je marchais des heures et des heures depuis des jours sans les compter, je marchais, j’avançais ainsi, chemins après chemins, lisières, à la longue, au plus bas-côtés, ravins de bords de petites routes, je coupais, je croyais, couper par des pistes qui longeaient des forêts, j’allongeais peut-être, mais j’aurais pu aller en rond, ce n’était pas très important, je marchais.
Extrait de La vive allure, Mathieu Diebler
Droits réservés, Mathieu Diebler, février 2010
Pastel Mathilde Tixier