On part une nuit ou un matin, ça n’a pas d’importance. On part quand le jour n’est pas clair, si on a le choix ; si on a le choix on se prépare et on peut avoir un temps infini pour se préparer, et l’occasion s’absente, on n’est pas larron, on attend.
On part, on quitte, on part une nuit avec ses sentiments, ses habits de l’heure, le temps qu’il faudrait immobile, mais le temps passe. On file avec ses tissus, ses cheveux, sa langue ou son mutisme, on a ses mots. Et ceux qu’on laisse, on les reverra, on les reverra souvent : c’est que la mémoire est le nuage dans le ciel du champ au milieu duquel on va s’avancer quand on va partir, un nuage en paquets parmi d’autres paquets de nuages, on marche sous une voûte qui n’est pas que de souvenirs, ce serait facile, il suffirait de rester étendu pour partir et alors tout le monde partirait, ça ne coûterait rien, de rester ainsi étendu la tête vers le ciel à regarder passer le nuage, pas de marche, pas de champ, pas de sueur ni de fatigue ni de respiration en retenant le souffle ; la cavale.
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On part. On va marcher dans l’espace ouvert, on va entrer par une porte, par une autre, on va marcher, on sera silencieux, courbé, discret en fait, on suivra une ligne, il y aura la lune, il y aura - au moins - le reste d’une lune, et, dans le halo, on sera gris, un chat qui pelote les minutes précieuses. On va marcher à couvert ; ce qu’on fuit, on l’emmène et le voyage et c’est à cacher.
Est-on blessé ou bien c’est l’âme, ça fuit et brûle, il faudrait arrêter, stop ? Quand on part, on ne s’arrête pas, sinon on risque - et il est alors aisé de vous tomber dessus quand vous n’êtes plus le point de fuite mais une mouche. On s’arrêtera loin. On s’est pris de partir, on se prendra d’arriver plus tard quand on sera bien enfoncé et qu’on manquera de jambes, il faut avaler : pour trouver le coeur à poursuivre et finir, pour le courage on verra des silences tranquilles, des draps, des cigarettes et des sommeils, on les verra et on se dira, Ça finira bien par refleurir...
On va marcher avec des yeux pour tout, et aussi des oreilles, il y aura des embûches, des dangers de côté, des arbres de façade, il y aure même des rencontres dans les déserts, on va s’avancer, on va se méfier plus que jamais et parfois moins dans l’usure. On va s’avancer jusqu’à ne plus être visible, s’effacer des instants. Mais on est parti vers la blancheur, l’obscurité, ce ne sera, ça n’aura été qu’un passage.
On est parti un matin seul et pressé et s’est hâté de garder patience, on devra le rester, seul et pressé et patient, il faut des principes, bien sûr, et le respect de ceux-ci, ce qu’on appelle une discipline, seul, pressé, patient, et, puisqu’il y aura, c’est évident, des fortunes et des déveines, des courses inutiles, des émotions malgré le froid du sang, il faudra aussi de la chance.
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On est parti, on nous cherche déjà, on marche sur le rêve. D’où on est parti avant d’arriver et devoir partir et même par où on est passé, ce qu’on y a fait, on ne sait plus, on ne voudrait pas savoir ; c’est un bagage à main comme le boulet d’un bagnard. On sait. Un jour ça a fleuri, l’espoir, et s’en est suivie une sorte de démesure, une hauteur. Maintenant on marche à ras de terre et la peur dans le ventre, Ça finira bien par refleurir.
On va du point de départ à celui d’arrivée, on va une trajectoire qui titube et tire, celle des astres qui se perdent... On va s’ennuyer, seul avec sa trouille, poursuivant son âme, on va se cogner à l’ivresse de la proie, ne plus se souvenir que de l’abandon, et de l’oubli qui l’a couvert...
On serait arrivé. À cause de la fatigue que cousent l’urgence, la solitude et la patience au milieu d’elles, on se rendrait à l’inadvertance, et alors on verrait ; le péril de la cavale.
mathieu diebler, paris, août 07
Catalogue des Rencontres du Cinéma Français de Pau, texte de notice du film Chien errant (21 mn, 2007) de P. Sennequier avec J.-P. Bordes et M. Pollacchi, scénario P. Sennequier et M. Diebler, prod. J.-M. Fabre, Guns & Knives. Prix Qualité 2008 du C.N.C. / Programme Courts d'Aujourd'hui des Cahiers du Cinéma/Agence du Court-Métrage